“Le chemin, on est obligé de le faire à la fois en marchant à Paris et en Europe du Nord. C’est un mouvement de balancier permanent”. Il y a un peu moins d’un an, Vincent Caure se faisait élire début juillet député de la troisième circonscription des Français de l’étranger. Parachuté de Paris, le trentenaire, ancien collaborateur d’Emmanuel Macron à l’Elysée, succédait alors à Alexandre Holroyd, qui prenait la place de suppléant.
Depuis son élection, Vincent Caure explique avoir alterné sa présence entre la capitale française et les villes importantes de la circonscription, dont fait partie le Royaume-Uni. “Un mandat uniquement en circonscription, c’est un mandat assez impuissant, parce que vous ne portez pas la voix du territoire à Paris”, avance le parlementaire, “de même, un mandat uniquement à Paris peut rapidement rendre aveugle. Certes, vous voyez le jeu politique parisien et passer beaucoup de textes, mais vous n’avez pas l’échange concret réel qui amène un autre regard”.
Car, dit-il, la force du mandat chez les Français de l’étranger “est ce regard enrichi par l’expatriation et l’expérience d’autres sociétés”. Être sur le terrain, pour celui qui ne connaissait pas le territoire avant d’y avoir été élu, c’est aussi une manière de prendre la température sur ce que pensent les communautés françaises de son mandat. “C’est lors de ces rencontres qu’elles vous disent si vous faites bien ou pas votre travail, ou ce que vous devriez faire”, confie-t-il.
De cette première année de mandature, il retient le nombre de défis auxquels doivent faire face les immigrés français installés dans les différents pays de sa circonscription. Des difficultés évidemment très différentes selon les territoires. “Quand vous discutez avec un Français installé à Vilnius ou à Tallinn, avec ce qui se passe avec la Russie, les sujets d’inquiétude ne sont pas les mêmes qu’avec un Français à Dublin ou à Londres. Cela ne veut pas dire qu’à Londres et à Dublin, on ignore l’état du monde, mais ils n’ont pas la même perspective”.
En revanche, il estime que les inquiétudes et réalités autour de la recherche de l’accès à un enseignement en français de qualité, la numérisation de l’État et de la simplification des démarches administratives, la question du soutien aux associations ou encore la manière dont les ambassades et consulats les accompagnent, sont des sujets convergents. “Les Français installés à Edimbourg ou à Stockholm recherchent finalement la même chose : les opportunités que le pays a à offrir mais sans abandonner leur lien avec la communauté”.
Au Royaume-Uni plus spécifiquement, Vincent Caure a retenu qu’en 2025 le plus grand défi fut l’introduction de la TVA sur les écoles privées, qui pourrait avoir de lourdes conséquences sur la présence de la communauté française sur le sol britannique. Sauf que “l’avenir de la communauté est une question primordiale pour les établissements scolaires”. Moins de familles françaises signifie moins d’enfants scolarisés et donc une baisse de revenus pour les écoles.
Mais selon lui, un enjeu de plus grande taille plane sur la vie des Français résidant de ce côté de la Manche : le Brexit. Evidemment pas la sortie en tant que telle, puisqu’actée depuis quatre ans, mais ses conséquences, apportant “complexités, doutes, risques et problématiques, toujours aussi concrètes dans le quotidien”. “J’ai visité dernièrement une boulangerie à Londres et les personnes me parlaient de la difficulté de faire venir de la main d’œuvre à cause du visa et du sponsoring, mais aussi la difficulté de se fournir en matière première”, donne-t-il comme exemple.
Les Français s’interrogent aussi, selon le député, sur la manière dont les gouvernements successifs, des deux rives de la Manche, ont cherché et cherchent encore à résoudre les “irritants hérités du Brexit”. Pour Vincent Caure, trouver une solution serait même en faveur des Britanniques. “Je suis convaincu qu’ils seraient les premiers gagnants à réinvestir une relation économique et politique avec l’Union européenne”.
Pourtant, le gouvernement travailliste garde le regard tourné vers les Etats-Unis, avec qui un accord commercial a d’ailleurs été conclu jeudi 8 mai. “La classe politique britannique est en général prise dans une forme de balance permanente pour éviter de trancher entre les 40 kilomètres du Channel et les 4,000 kilomètres de l’Atlantique”, commente l’élu, qui se dit “fervent défenseur de l’appartenance britannique à un espace européen historique, géographique, culturel”. “Les Britanniques sont plus proches de nous qu’ils ne le sont, même avec leur relation spéciale, de Washington”.
Mais le parlementaire dit évidemment respecter les choix souverains du pays, avant de souligner : “Je note juste que les Travaillistes ont longtemps été des acteurs de la défense de l’appartenance à l’Union”. Pourtant Keir Starmer a toujours exclu de revenir sur le Brexit. Cependant, Vincent Caure croit encore à un rapprochement. “Ça prendra du temps”, reconnaît-il. Mais les liens sont toujours là, d’ailleurs un sommet britanno-européen, auquel participera Emmanuel Macron, se tiendra lundi 19 mai à Londres.
Le député incite d’ailleurs les Français à s’intéresser de près à ce qu’il va se dire durant cette rencontre. “Ce genre de réunion fait partie de ces moments importants de dialogue entre chefs d’État sur l’état du monde et de son avenir. Personne ne peut ignorer aujourd’hui les débuts fracassants du second mandat de Donald Trump ou la tentative de Vladimir Poutine et du président américain de négocier une paix sans les Ukrainiens. Sauf que Londres et Paris ont des visions assez proches concernant l’Ukraine et le besoin d’un cessez-le-feu incluant les Ukrainiens à la table”.
Ce sommet pourrait également voir nourrir des échanges sur les sujets du quotidien des Français – et plus largement des Européens – installés sur le sol britannique. “Londres et Paris n’ont peut-être pas les mêmes points de vue sur les suites du Brexit, mais lors de ces sommets tout est mis sur la table”. Une autre rencontre est attendue entre la France et le Royaume-Uni : le sommet annuel franco-britannique, dont la date n’a pas encore été communiquée. “Il y aura là aussi beaucoup de sujets évoqués, sans compter que ce rendez-vous honore l’amitié entre nos deux pays”.
Lors du sommet du 19 mai, le président de la République devrait aussi aborder la question de l’Ukraine et de l’avenir du continent européen. Un sujet important pour la circonscription étant donné que cinq des onze pays partagent une frontière commune avec la Russie : la Finlande, les trois pays baltes (Lettonie, Lituanie, Estonie) et la Norvège. “Ils ont conscience que la Russie peut être un agresseur et qu’elle est une puissance avec des ambitions impériales”, avance le député, “il suffit de le voir quand vous avez, par exemple, des gouvernements qui diffusent à leurs citoyens des consignes sur le nombre de litres d’eau ou de conserves à stocker. Ça surprend quand on est Français et qu’on s’installe dans ces pays, mais finalement ça s’intègre très vite”.
Outre la question russe, il y a également un autre pays, avec une communauté française non négligeable, qui subit une pression territoriale : le Danemark. Donald Trump, depuis son élection, n’a pas caché ses ambitions d’annexion du Groenland, territoire autonome danois. Le député vient d’ailleurs de cosigner (avec 119 autres parlementaires), en commission des Affaires européennes, une proposition de résolution en soutien au pays face aux menaces du président américain.
Parmi les recommandations préconisées, permettre une présence militaire européenne accrue dans la région (à l’image du déploiement français en Estonie), et valoriser les savoir-faire français dans le sauvetage en mer, la recherche scientifique et l’intervention en milieu extrême, déjà engagés au Groenland. De manière générale, explique Vincent Caure, les communautés françaises qu’il rencontre dans ces différents pays du nord, ont “un regard fondamentalement très pro-européen, une conscience que la solution est continentale. Elles y croient beaucoup”.
Si le parlementaire explique essayer d’être le plus souvent possible en circonscription, il siège aussi à l’Assemblée nationale, où les débats sont toujours aussi houleux, même après la dissolution. “La situation est effectivement compliquée parce que la composition de l’Assemblée est complexe, divisée et morcelée”. Avec onze groupe, trois blocs principaux et aucune majorité, presque tout est bloqué. “C’est vrai, il y a peu de textes structurants votés, mais il y en a, comme sur le narcotrafic (qui vient d’être contesté devant le Conseil constitutionnel par des élus de gauche, ndlr) ou la question de la fin de vie, deux textes d’initiative parlementaire”.
Mais cette assemblée fracturée est le résultat d’une dissolution souhaitée par le président de la République lui-même. “Oui”, reconnaît Vincent Caure, “il assume pleinement ce choix et de dire que ça a été un échec. Le but d’une dissolution, comme d’un référendum, c’est de trancher un conflit de légitimité. Sauf que le conflit n’est pas tranché et il a avoué avoir échoué”. Un échec qui aura eu comme lourde conséquence l’arrivée en force du Rassemblement national dans l’Hémicycle.
Pourtant, le député ne se dit pas déçu d’Emmanuel Macron. “On ne peut lui faire porter la faute d’un RN fort en France. Il faut se souvenir des dernières années du quinquennat de François Hollande, avec notamment la progression du FN lors des régionales de 2015. Vous avez un contexte politique qui n’est pas le fruit du quinquennat Macron. Il n’y a jamais de responsabilité unique. Le problème, c’est la radicalité en politique et le recul de la capacité à écouter”.
Il prend pour exemple la vie et le système politiques de pays comme la Norvège ou le Danemark, où le Parlement est là pour créer du dialogue, permettant “une capacité à construire des consensus et à bâtir des majorités”. “En France, on y arrive parfois. Comme sur la loi sur le narcotrafic, pour laquelle j’ai été l’un des trois rapporteurs aux côtés d’un élu socialiste et d’un autre des Républicains. Finalement, on a réussi à avoir un texte soutenu par tout le monde”, explique-t-il, avant de lancer, “sauf la France insoumise”.
Le jeune parlementaire estime que la classe politique française doit apprendre à s’écouter. “On a un risque parce que notre société, comme celle britannique, est très facturée car traversée de doutes. Il y a des parties de la population qui se sentent orphelines de la mondialisation et en marge. Il y une fracture territoriale. La seule différence, ici, c’est que le Premier ministre a une majorité absolue, parce que vous avez un système électoral qui vous garantit une majorité très violente et moins représentative”.
Des rumeurs courent : une nouvelle dissolution pourrait avoir lieu à l’automne. “L’Elysée a démenti”, contre immédiatement Vincent Caure. Mais le député se dit prêt à se représenter si telle était la décision d’Emmanuel Macron. “Vous êtes élu pour un mandant, donc vous savez que si vous voulez continuer, vous devrez vous représenter devant les suffrages. Et vous savez que vous pouvez gagner comme perdre”, avance-t-il, “quand auront lieu les prochaines élections ? Je ne sais pas. Je souhaite simplement à la France de la stabilité politique. Je ne pense pas qu’une nouvelle dissolution conduise à une Assemblée avec une majorité ou qu’elle améliorerait les choses. Maintenant, c’est un choix qui appartient au président de la République”.